De la sortie du placard à l’entrée en parentalité
les défis systémiques de l’homosexualité
Les récentes avancées législatives (PACS, mariage, filiation, accès à la Procréation Médicalement Assistée), scientifiques (nouvelles techniques procréatives) ou socioculturelles (visibilité médiatique croissante) ont permis aux homosexuel.le.s et aux homoparents d’améliorer leur statut et leur reconnaissance dans la société occidentale du XXIème siècle.
Cependant l’homosexualité et l’homoparentalité*, orientation sexuelle et configuration familiale minoritaires, restent associées à la différence, au hors-norme, qui au mieux permet à la société d’être vigilante à la condition de cette partie de la population ou, au pire, autorise fallacieusement les stigmatisations, lits des violences verbales, psychiques et physiques.
Ainsi se découvrir homosexuel.le, être homosexuel.le, devenir homoparent signifient se confronter directement et parfois à vif au défi systémique de l’existence : comment être spécifiquement soi dans le lien aux autres.
S’identifiant à une sexualité alternative dans une société hétéronormative qui marginalise, voire hétérosexiste qui discrimine, au décours de leur vie, les homosexuel.le.s et les homoparents éprouvent en effet de façon intime et souvent intensément l’articulation centrale en systémie : appartenance à un système VS différenciation de soi au sein de ce même système. Comment entretenir un sentiment d’adhésion et d’affiliation à un environnement qui doute de votre légitimité à en faire partie ? Comment s’émanciper de ce même milieu pour vivre différemment tout en préservant loyautés et liens constitutifs de votre histoire et de votre identité ?
À contexte spécifique, enjeux spécifiques
Il serait objectable ici que ces questions sont le lot de tout à chacun. Comme le souligne la systémie, chaque individu, au cours de son développement, se retrouve en prise avec cet enjeu identitaire : entre construire ses propres valeurs, profiter de son autonomie et maintenir ses appartenances qui relient aux origines et légitiment une place. Certes. Mais le contexte pour les homosexuel.le.s et les homoparents diffère.
Eu égard aux circonstances sociales, sociétales, légales ou encore culturelles, en plus des défis semblables à ceux des hétérosexuel.le.s, les personnes homosexuelles doivent également affronter des enjeux systémiques qui leur sont spécifiques. Et ce, quel que soit leur stade de vie : célibataires, en couple ou encore parents.
Cette particularité tient à la nature minoritaire de l’homosexualité et de l’homoparentalité qui de fait impose 3 facteurs de stress psychosociaux se potentialisant : la discrimination, l’ambiguïté relationnelle et le faible étayage social. Lors de l’éveil affectif et sexuel à l’autre, de la mise en couple et de la fondation d’un foyer, les enjeux d’émancipation et de conservation des liens avec la famille se complexifient s’il y a rejet, absence de modèles identificatoires et manque de protection légale.
Discriminations
La discrimination se concrétise dans la stigmatisation et les violences symboliques ou concrètes. Dans le cas de l’homosexualité, elle se définit par l’application d’une distinction péjorative dans le traitement social d’un individu ou d’un groupe d’individus basée sur son orientation sexuelle.
Cette homophobie se joue à un premier niveau externe. Pour un.e homosexuel.le se définir ouvertement comme tel.le dans la sphère sociale, lors de l’étape du coming out ou de “sortie du placard”, peut entraîner une série de conséquences délétères. L’annonce de l’homosexualité à la famille d’origine peut susciter intolérance, rejet voire violence. Possiblement exclu.e physiquement ou/et affectivement du cercle familial, l’homosexuel.le subit une mise à l’écart synonyme de vie matérielle et psychique précaire. Entre indépendance subie, intimité dénigrée et rupture des liens, la construction identitaire est largement impactée.
Au-delà de ce premier dévoilement, les homosexuel.le.s se retrouvent pris.es dans un effet de coming out permanent. À chaque nouvelle rencontre, leur orientation sexuelle est amenée à être précisée car, par défaut, considéré.e.s comme hétérosexuel.le.s. Une certaine vulnérabilité est alors régulièrement exposée au jugement ou à l’ostracisation. Au niveau professionnel est constaté un risque de discriminations liées à l’embauche, aux conditions de travail et à la rémunération. La responsabilité financière et la prise en charge de ses propres besoins sont donc moins aisées à atteindre. L’autonomie par l’accomplissement professionnel est moins accessible.
En outre, les homosexuel.le.s sont socialement marginalisé.e.s car souvent considéré.e.s comme immatures, incapables de stabilité affective. Leur mode de vie est estimé incompatible avec la construction d’un couple et d’une famille. Inaptes à aimer, inaptes à être parents voire nocifs pour le développement des enfants, alors que les études démontrent le contraire. Les enfants élevés par des parents homosexuels grandissent tout aussi bien que ceux élevés par des parents hétérosexuels que cela soit en termes de relations aux autres, de bien-être psychologique et d’adaptation sociale (Biblarz & Savci, 2010).
Dans le même ordre d’idée, les homoparents, ou les homosexuel.le.s en passe de le devenir, sont confronté.e.s au jugement d’autrui alimenté par les débats éthiques et sociaux dont l’homosexualité fait souvent l’objet. S’ajoute l’hétéronormativité qui, encadrant le développement des enfants dans la sphère extrafamiliale, impose directement ou indirectement une justification et une adaptation contrainte des familles homoparentales. Dans un effet de caisse de résonance, sans cesse leur est renvoyée leur différence dont la légitimité n’est pas acquise. Par conséquent, la construction de son propre système familial, soumis à la pression sociale, est malaisée.
En plus de cette lutte contre ce regard social réprobateur ou chargé de préjugés, il faut aussi compter avec un adversaire interne : l’homophobie intériorisée. Élevés dans un milieu discriminant, les homosexuel.le.s et les homoparents internalisent des représentations et des attitudes péjoratives véhiculées contre eux. La culpabilité de ne pas “être comme tout le monde”, de ne pouvoir offrir un cadre traditionnel d’éducation à son enfant sont autant de vecteurs de négativité avec lesquels les homosexuel.le.s et les homoparents doivent se débattre. Les familles homoparentales se sentent “condamnées à réussir”. Dans la crainte que la moindre difficulté relationnelle ou développementale chez leur enfant soit imputée à leur orientation sexuelle, les homoparents s’imposent un niveau élevé de réussite éducative. Cette exigence induite se retrouve potentiellement source de crispations et de frustrations. Les liens familiaux et de la famille avec son environnement sont pénalisés.
Ambiguïté relationnelle
L’ambiguïté relationnelle naît d’un manque juridique, culturel et social. La faible présence de repères préexistants et de modèles d’identification relatifs à l’homosexualité complexifie la définition des relations. L’absence de schémas interactionnels de référence aboutit à l’incertitude. Si cette ambiguïté est prédominante, elle risque d’induire de la confusion et de nuire à la construction des liens.
Afin de pallier ce danger, les homosexuel.le.s doivent redéfinir et clarifier les frontières relationnelles. En étant de fait hors convention sociale, leur couple ont l’opportunité d’innover dans leur modus vivendi. Leur sexualité peut éventuellement se vivre sur le registre de la polygamie. Affranchis de la répartition arbitraire des rôles de genre, il leur est envisageable de distribuer différemment les tâches du foyer. Cette ouverture des possibles impose une réflexion sur la délimitation de l’intime et des compétences pour le couple et chaque partenaire. Cette recomposition ne va pas de soi et nécessite réflexions et échanges.
En outre, avec les séparations, les recompositions et la pluriparentalité, entre parents, coparents, beaux-parents, demi et quasi frères et sœurs, où commence et où finit la famille ? Face à l’inédit de ces situations non traditionnelles, les homoparents se retrouvent dans l’obligation de travailler leur parentalité, de définir eux-mêmes leur identité et leurs rôles parentaux et ce, pour eux, pour leurs enfants mais aussi pour leur entourage. Un effort supplémentaire d’ajustement, d’accordage, de négociation et de partage d’expériences est nécessaire pour inventer, tout en les légitimant, de nouvelles modalités de faire famille.
Dans une même perspective, quelle place, quelle affiliation attribuées au ⅓ donneur du matériel génétique dans le cadre de la PMA ou à la femme porteuse lors d’une GPA (Gestation Pour Autrui) interdite en France ? Ces personnes constitutives de l’histoire familiale notamment en lien avec les origines des enfants peuvent être physiquement absentes et psychiquement présentes et inversement. Pour éviter qu’une ambiguïté relationnelle, source de confusions, n’émerge alors, un travail réflexif singulier autour du choix de la méthode reproductive, du donneur, de l’accès aux origines, du récit à transmettre aux enfants doit être entrepris. Il s’effectue en fonction de l’histoire du couple, de ses valeurs, de chacun des partenaires et implique de fait les niveaux intra- inter- et trans-générationnels.
Faible support social
Le faible support social est en lien avec un manque de reconnaissance souvent synonyme de rejet et d’exclusion. Les homosexuel.le.s et les homoparents sont en effet plus régulièrement confronté.es à une intégration fragile dans leur milieu de vie, à la solitude voire à l’isolement.
Face aux aléas de la vie, une plus grande difficulté à demander et à obtenir de l’aide peut ainsi être éprouvée. Comme abordé plus haut, l’étape du coming out peut induire une crise familiale imposant un isolement et une privation de ressources matérielles et psychiques.
Dans le cadre des nouvelles méthodes procréatives, malgré les évolutions légales, une précarité juridique et un défaut de reconnaissance sociale persistent et peuvent troubler le fonctionnement de l’équipe parentale. Le primat de la dimension biologique, qui constitue encore la forme la plus aboutie de légitimité en termes de parentalité, est facteur de déséquilibre entre le parent social et le parent biologique. Pour le premier intégrer son enfant dans sa propre généalogie peut être ainsi malaisé. En cas de séparation, il risque d’être privé de son enfant avec des recours légaux limités. De façon insidieuse et par extension, ce danger génère de possibles angoisses de rapt même en l’absence de tout conflit avec le parent biologique. Pour le parent social, l’enjeu autour de la reconnaissance est alors multiple : être considéré et surtout se sentir considéré comme parent à part entière, avec l’ensemble des droits et des devoirs que cela implique, aux yeux de la société, de son entourage, de son ou sa partenaire, de son enfant et à ses propres yeux.
Facteurs de protection
Compte tenu de ces 3 stress psychosociaux, la discrimination, l’ambiguïté relationnelle et le faible support social, la construction d’un mode d’être relationnel tout en étant homosexuel.le ou homoparent exige d’affronter des enjeux systémiques spécifiques. Néanmoins, pour relever ces défis des facteurs de protection sont sollicitables. Ces appuis s’inscrivent eux-mêmes dans une dimension relationnelle sur laquelle porter un regard systémique.
Les vécus d’adversité soulignent les ressources et les forces mobilisées pour dépasser les obstacles. Le rejet social incite à se tourner vers des réseaux de soutien inédits, à privilégier et nourrir certains liens familiaux ou amicaux bienveillants. La constitution d’une “famille choisie”, d’un sentiment d’appartenance à une autre communauté protègent et suppléent les défaillances d’un environnement parfois hostile.
Les homoparents disposent d’une aptitude accrue à la communication et à la négociation pour déjouer les oppositions et les confusions. Ces compétences se développent ou s’acquièrent notamment lors de la réalisation de leur projet d’enfant. En effet, une famille homoparentale ne se constitue jamais par hasard. L’infertilité sociale du couple le contraint à une réflexion profonde sur son désir et son accès concret à la parentalité. Il doit faire preuve d’une volonté forte et d’un haut niveau de planification (les modalités procréatrices modernes impliquent plus d’argent, de temps, d’énergie ou encore d’organisation). Les homoparents sont ainsi dans l’obligation de trouver des terrains d’entente et des positions communes. Face aux épreuves, ces arrangements mutuels les autorisent à valoriser leur parcours alternatif vis-à-vis de l’extérieur, à renforcer leurs liens et leur identité de couple et de famille.
En outre, la mobilisation de ces facteurs de protection provoque, par rétroaction, des modifications relationnelles dans les anciens systèmes d’appartenance. Dans la famille d’origine, un coming out ou la présentation d’un.e partenaire, par exemple, ne sont jamais sans conséquence interactionnelle. Des rôles et des fonctions peuvent bouger ou naître : face à un parent rejetant, un autre peut prendre la place d’intermédiaire. Les changements atteignent alors une dimension systémique. Confrontée en son sein à une orientation sexuelle alternative, la famille est amenée à remanier ses frontières, son identité, les places de chacun, à modifier ses croyances, ses valeurs. Objectifs : se donner la possibilité de tisser à nouveau des liens satisfaisants et d’accueillir le membre ou les membres désignés comme “différents”. Ce processus opère également lorsqu’un.e homosexuel.le devient homoparent. Par la création d’une nouvelle génération et ainsi par l’affirmation de la grande parenté de ses propres parents, l’arrivée d’un enfant le ou la réintègre dans une lignée. L’ensemble du système doit se réorganiser.
Conclusion
Parce que considéré.e.s comme hors norme, les homosexuel.le.s et les homoparents bâtissent un mode d’être relationnel en fonction de défis systémiques spécifiques. Entretenir des liens d’appartenance et s’autonomiser, processus participant à la construction identitaire, opèrent selon des facteurs de stress déstabilisateurs et de protection compensateurs.
Évoluer à la marge en faisant face à l’adversité permet également de se constituer une réserve de compétences relationnelles dans laquelle puiser pour créer ou réaménager des liens inédits et préexistants. Ce phénomène augure l’avènement de nouveaux systèmes où la dialectique affiliation vs émancipation vient à se rejouer. C’est aussi avoir l’opportunité de se décaler des règles préétablies en matière de mode de vie personnel, conjugal et familial. De nouveaux arrangements sociaux plus fluides, plus complexes, plus créatifs sont pensables et expérimentables. L’homosexualité ouvre ainsi sur une riche inventivité relationnelle.
Cet élargissement des possibles n’est pas sans impact sur les us et coutumes majoritaires. Certes la société interroge l’homosexualité mais cette dernière en retour, tel un aiguillon, pique, agite la norme. Nouveaux types de liens d’appartenance, nouvelles places, nouveaux rôles de genres, nouveaux moyens procréatifs, nouveaux rôles éducatifs, nouveaux modes de cohabitation, nouvelles modalités de parenté et de parentalité… Dans quelles mesures en contribuant à l’invention de ces modes de vie hors cadre, en réaction au rejet et dans une perspective de légitimation et de clarification de leur statut, les personnes homosexuelles et les homoparents n’ont-ils pas permis aux conventions de s’amender et de gagner en souplesse ? Ce que d’aucuns décriraient comme des avancées sociales pour tous.
*homoparentalité : configuration de parentalité dans laquelle au moins un.e adulte qui est le parent d’un enfant se définit comme homosexuel.le.
Mathieu Frévin
Bibliographie :
D’Amore, S. (2020). Les défis des familles d’aujourd’hui. De Boeck Supérieur. Louvain-la-Neuve.
Dupont, S. (2022). Le cycle de vie des familles contemporaines. Érès. Toulouse.
Biblarz, T. & Savci, E. (2010). Lesbian, gay, bi-sexual, and transgender families. Journal of Marriage and Family, 72, 480-497.